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PILS consacre la Journée Mondiale contre le Sida à la lutte contre le stigma

La lutte contre la stigmatisation et la valorisation de la personne humaine seront au centre des activités qu’organise Prévention Information et Lutte contre le Sida (PILS) en ce 1er décembre. Ce sera dans le cadre de la Journée mondiale contre le Sida dont le thème est Leadership dan lame bann kominote – Let Communities Lead.

En ce vendredi, PILS a créé un safe space privé où les personnes infectées et affectées par le VIH pourront s’exprimer. Ayant pour thème Art F**** Stigma, cette rencontre du 1er décembre sera animée par des artistes : plasticien, photographe, danseur, make-up artist, qui aideront les personnes présentes à s’exprimer à travers des couleurs, des mots, des écrits et des mouvements. L’un des principaux animateurs de cette journée sera l’artiste américain Todd Lanier Lester qui est engagé dans la lutte contre le VIH et pour les droits des personnes aux Etats-Unis et au Brésil.
Pour Annette Ebsen Treebhobun, directrice executive de PILS : « Les personnes que nous accueillerons seront invitées à faire entendre leurs espoirs, leurs rêves, leur désir d’avancer et leurs attentes. En présence d’invités susceptibles de contribuer au changement, leurs messages seront aussi un plaidoyer contre le stigma et la discrimination qui restent des obstacles majeurs dans la lutte contre le VIH à Maurice jusqu’aujourd’hui. »

Pour expliquer cette situation, PILS rendra aussi hommage à la femme que la presse avait surnommé « Mme X. » en 1987 pour parler de la première personne testée positive au VIH à Maurice. Avant de décéder le 27 novembre 1987, elle avait été confrontée à une forte stigmatisation et au rejet. « Ces sentiments et cette manière de faire ont accompagné le VIH depuis son apparition dans le pays et dans le monde. Des années plus tard, des personnes perpétuent inutilement cette manière de faire alors que les informations disponibles, la connaissance générale, les avancées réalisées contredisent toutes les spéculations et les préjugés associés au VIH », ajoute Annette Ebsen Treebhobun.

Aujourd’hui, avec la prévention combinée, la prise en charge médicale, les accompagnements, la réduction des risques et les autres mesures Maurice est doté d’un arsenal pour vaincre la progression du VIH. Cependant, les derniers chiffres démontrent une hausse dans les nouveaux cas enregistrés. Durant ces cinq dernières années les nouveaux cas testés positifs ont été ainsi : 2018 : 382 cas, 2019 : 374 cas, 2020, 318 cas, 2021 : 327 cas et 2022 : 391 cas. La majorité des nouvelles infections concerne les hétérosexuels âgés de 15 à 54 ans avec une vulnérabilité accrue chez les 25 à 39 ans.

De 1987 à 2022, 8831 cas ont été officiellement enregistrés à Maurice. Il est cependant estimé que plus de 14 000 Mauriciens vivent avec le VIH. « Plusieurs personnes vivent avec le VIH sans le savoir et encourent le risque de propager le virus à leur insu. Seul un test de dépistage permet de connaître son statut. Cependant, par ignorance ou par peur, des personnes hésitent à se tourner vers ce service gratuit disponible dans les centres de santé aussi bien qu’auprès des associations comme PILS, AILES et CUT », dit Annette Ebsen Treebhoobun. Afin de rendre le dépistage davantage disponible, ces organisations ont circulé dans différentes parties du pays du 21 au 26 novembre dans le cadre de la Semaine Internationale de Dépistage et du Moris AIDS Tour. L’objectif était aussi de se rapprocher de la communauté pour renforcer la prévention, lutter contre l’ignorance et la stigmatisation.

Pour rappel, toute personne testée positive a accès à un traitement médical gratuit lui permettant de préserver sa santé, de mener une vie normale et de voir sa charge virale devenir indétectable. A ce stade, la personne ne transmet plus le virus même dans le cadre de rapports non-protégés.

27 novembre 1987

« Mme X. » tuée par l’intolérance et les causées liées au sida

Le 27 novembre 1987, Maurice enregistrait un premier décès pour des causes liées au SIDA. Testée positive en septembre, alors que sa santé était au plus mal, à travers des manifestations et d’autres expressions d’intolérance, cette femme de 60 ans fut davantage affectée par la stigmatisation et le rejet. En ce 1er décembre, PILS rend hommage à celle que la presse avait surnommé « Mme X. » Son drame rappelle qu’aujourd’hui encore le stigma, la discrimination, l’intolérance sont les plus grands obstacles dans la lutte contre le VIH.

« Elle ne souffrait pas. Elle était tout simplement très affaiblie. » Telle avait été l’annonce faite par le médecin de l’hôpital de Moulin à Poudres pour annoncer le décès de « Mme X. », le 27 novembre 1987. Elle s’en était allée vers 11 heures, après presque trois mois d’hospitalisation. Par le biais des médias, le pays avait suivi les derniers jours de sa vie marqués par des réactions opposées. Face aux quelques marques de soutien et de compassion, une grande intolérance, exprimée par des manifestations, des gestes stigmatisants, de la discrimination et de la peur.

Habitant la région nord, employée d’hôtel, cette femme âgée de 60 ans avait été admise à l’hôpital de Port-Louis. Un des membres du personnel soignant présent à l’époque se souvient : « C’était une femme soignée. Elle était bien habillée, elle avait les ongles bien faits et avait de bonnes manières. » Souffrant de diarrhée, affaiblie, elle suscitait une constante vigilance du personnel de la salle où elle avait admise. « Personne ne parlait de VIH ou du sida à l’époque. Nous ne savions pas de quoi elle souffrait et nous étions à son chevet pour la changer et la réhydrater. Nous avions appris qu’elle avait vécu sur le continent africain pendant quelque temps. Elle était rentrée après le décès de son époux. »

« C’est le SIDA ! »
Le 3 septembre 1987, elle est transférée à l’hôpital de Poudre d’Or pour des troubles pulmonaires. Les symptômes qu’elle présente inquiètent. Un échantillon de son sang est envoyé à Candos où un appareil nouvellement installé dans le laboratoire évoque une possibilité de VIH. Sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé, un échantillon de son sang est analysé à Munich pour des tests approfondis.

« C’est le SIDA ! » titre en gros caractères la presse le 12 septembre, suivant la réponse du laboratoire. La récente reconduction au pouvoir de sir Anerood Jugnauth, après les élections du 30 août, est reléguée au second plan. Les journaux parlent d’un « véritable coup de tonnerre ». L’affaire atténue momentanément l’esprit festif du Festival de la Mer, lancé en grandes pompes par sir Gaëtan Duval quelques jours plus tôt pour booster le secteur touristique.

À Poudre d’Or, des personnes des alentours descendent dans la rue. Ils réclament le départ de la patiente des lieux de manière virulente. « Encore sous le choc, l’opinion publique n’est pas capable d’assumer, avec un minimum de responsabilité, l’échéance inévitable à laquelle il [sic] n’a pas été préparé [sic] », dit la presse. L’ignorance permet aux pires suppositions de se répandre comme une épidémie incontrôlable. Les uns et les autres évoquent la possibilité d’une épidémie à travers l’air ou encore les piqûres de moustiques. Sans compter les préjugés qui accablent Mme X.

Isolée, attristée, résignée
De sa chambre, « Mme X. » entend ces voix qui la vilipendent. « Cela l’a beaucoup affectée. Elle en était très attristée », raconte un témoin. Les choses se passent aussi mal à l’intérieur des murs de l’hôpital. « On a isolé la malade dans une salle. Tout le monde a peur de l’approcher. On dit qu’elle est une malade du SIDA, une maladie plus grave que la variole », écrit alors un journaliste. Quelques membres du personnel médical réclament des bottes et des gangs en caoutchouc pour approcher la patiente. Elle est transférée à la Skin Diseases Infirmary, dans un bâtiment datant du 18e siècle, au fond de la forêt de sapins. C’est ici qu’étaient généralement envoyés les patients souffrant de lèpre ou de variole.

Séparée de sa famille et privée de visites, la patiente est au plus mal. « Elle manifeste des symptômes inquiétants, avec toutefois une tranquillité et une sérénité surprenantes. Mme X appartient à la catégorie des résignées ; elle trouve normal de souffrir, naturel de ne pas voir son état s’améliorer », témoigne un membre du personnel médical à l’époque. Des échantillons de sang de la patiente sont régulièrement envoyés à Munich pour d’autres analyses, tandis qu’elle perd du poids et des cheveux. Son état est suivi par la presse, au milieu d’autres affaires d’actualité, dont l’exécution d’Eshan Naeck, dit Alexandre, dernier condamné à mort conduit à l’échafaud à Maurice.

Pour certains médias, « Mme X » ne pouvait qu’être une bête de foire. Une infirmière barre la route au journaliste qui tentait de s’immiscer dans la chambre de la patiente : « I forbid you to enter here. Try to understand she is ill. Why do you want to expose yourself to an infection? » « Je vous interdis d’entrer. Comprenez qu’elle est malade. Pourquoi vouloir vous exposer à une infection ? » Dans son reportage intitulé « J’ai vu la malade », le journaliste écrit : « Je suis resté sur les lieux malgré l’interdiction et j’ai pu voir la malade. Le teint jaunâtre, accroupie sur son lit, elle pleurait toute seule. Elle toussait de temps en temps. J’ai vidé les lieux. J’ai pensé aussi que cette place constitue peut-être un vivant foyer de virus. »

Polémique, stigma, discrimination
Cette épidémie qui venait de débarquer à Maurice, le monde en parlait depuis 1981 et les recherches étaient lancées pour la comprendre. En 1985, l’annonce de la contamination de l’acteur Rock Hudson avait attiré l’attention internationale sur cette « nouvelle peste », qui touchait officiellement 13 500 personnes dans le monde. En 1987, les estimations parlaient de 5 à 10 millions d’individus touchés. À août de la même année, le nombre de cas connus était de 53 395. On parlait de 1 000 tests positifs par quinzaine. Aucun traitement n’existe alors ; un test positif équivalait à la mort.

« Maurice n’échappera pas au SIDA », disait le Dr Clément Chan Kam, dans une interview publiée en juin 1987. Des programmes de prévention sont menés par les autorités avec le soutien de AIDE Amitié, organisation de lutte contre le VIH qui réunissait Marie-Michèle Etienne, Cadress Runghen, le Dr Chan Kam, entre autres. Les préjugés étaient forts face à cette maladie associée à des malédictions divines et d’autres spéculations d’illuminés.
Suivant la découverte du premier cas, une polémique éclate avec le ministre de la Santé, Jugdhish Goburdhun qui annonce que le gouvernement réprimera les « déviations » sexuelles, dont « les homosexuels et les prostituées ». Comme pour se rattraper, il nie avoir tenu ses propos et finit par réunir différents ministères et services pour lancer un programme en affirmant : « Il faut tout faire afin d’empêcher que la panique ne s’installe. »

« Mme X » est enterrée quelque temps après sa mort. Ses funérailles ont lieu dans la plus grande discrétion afin que la famille et le personnel soignant ne soient pas harcelés et stigmatisés à leur tour.

Le drame que vécut « Mme X. » est similaire à celui de Malini Veeramalay qui avait voulu faire évoluer les mentalités en parlant de sa séropositivité le 1er décembre 2004. Elle est décédée à peine six mois plus tard, dans un refuge pour femmes où Malini Veeramalay a trouvé asile après avoir été chassée de chez elle. Des histoires qui rappellent qu’aujourd’hui encore le stigma, la discrimination, l’intolérance sont les plus grands obstacles dans la lutte contre le VIH.

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