
Le 29 mai 2025, l’Association Kinouété a dévoilé les résultats d’une étude financée par l’Union européenne intitulée « Exploration of the Barriers to Integration of Ex-Inmates (Women and Youth) in Mauritian Society: A Grounded Theory Approach ».
La présentation a eu lieu à la Training School de la prison centrale de Beau Bassin en présence de l’Hon. Reza Uteem, ministre du Travail et des relations industrielles, SE Oskar Benedikt, Ambassadeur de l’Union européenne à l’Ile Maurice, Premnathsing Jokhoo PDSM, Commissaire des Prisons, Samioullah Lauthan MSK, Senior Advisor au bureau du Premier ministre et des Junior Ministers Anishta Babooram du ministère de l’Egalité des Genres et du bien-être de la famille et Kugan Parapen du ministère de l’Intégration sociale, de la sécurité sociale et de la solidarité nationale. D’autres partenaires engagés dans le secteur de la justice, des droits humains et du développement social étaient également présents. Cette étude a été menée par la chercheuse Sheistah Bundhoo-Deenoo.
Pauline Bonieux, présidente de Kinouété, explique la démarche de l’association :
« Kinouété oeuvre pour la réinsertion sociale et professionnelle des personnes confrontées à l’incarcération. Nous intervenons directement en prison, mais aussi à l’extérieur. Notre action repose sur la conviction que la réinsertion réussie est non seulement un droit, mais aussi une nécessité pour construire une société plus juste, inclusive et résiliente. Notre démarche est profondément ancrée dans une vision humaniste. Nous croyons que chaque personne a de la valeur, et qu’elle a droit au respect et à la dignité. »
Selon les résultats de 2024, 8 bénéficiaires sur 10, accompagnés par Kinouété, sont peu susceptibles de récidiver. A ce jour, la population carcérale s’élève à 2877 détenus dont 1488 condamnés et 1389 en détention préventive. On estime que plus de 75 % de la population carcérale a des cas liés directement ou indirectement à la drogue.
La présidente souligne :
« Kinouété a lancé cette recherche pour mieux comprendre les mécanismes qui freinent ou empêchent la réinsertion durable des jeunes et des femmes ex-détenus. L’objectif est de proposer des pistes d’action concrètes, tant en matière de politiques publiques que de coordination institutionnelle. Ce 29 mai, nous avons souhaité faire de cette présentation un moment fort de sensibilisation et de dialogue entre acteurs publics, société civile et partenaires, pour faire avancer ensemble les réformes nécessaires. »
La publication de l’étude « Exploration of the Barriers to Integration of Ex-Inmates (Women and Youth) in Mauritian Society: A Grounded Theory Approach » est un des éléments d’un projet plus important mené par Kinouété avec le soutien de l’Union européenne – le projet « Graduated Reintegration: Empowering women, girls and young people ».
Il a permis de renforcer l’accompagnement des bénéficiaires, notamment durant la période critique de transition entre prison et retour en communauté. Grâce à ce projet, l’Association Kinouété a développé une approche plus holistique, centrée sur les besoins psychosociaux des bénéficiaires, afin de prévenir les rechutes. Une équipe pluridisciplinaire – Case management Officers, Community Mobilisers, Psychological and Well-being Officers – agit de manière concertée, en étroite collaboration avec les familles et les communautés.
« Ce projet a mis l’accent sur les jeunes : plus de 50 % des personnes incarcérées à Maurice ont moins de 30 ans, souvent pour des délits liés à la drogue. Grâce au projet de l’Union européenne, nous atteignons les jeunes les plus vulnérables, non seulement en prison, mais aussi dans leurs communautés. Nous organisons des événements dans des zones d’intervention ciblées pour rendre nos services accessibles. Nous travaillons également avec les familles, offrant du soutien, de la médiation et des conseils », explique Pauline Bonieux.
SE Oskar Benedikt, Ambassadeur de l’Union européenne à l’Ile Maurice, exprime sa satisfaction :
« En finançant, depuis décembre 2023, un projet visant la réinsertion des prisonniers à Maurice et à Rodrigues, l’Union européenne réaffirme son engagement en faveur de la dignité humaine, de la justice sociale et de la lutte contre l’exclusion. Cette collaboration avec Kinouété reflète des valeurs partagées avec la société civile mauricienne que l’Union européenne soutient depuis plus de quatre décennies. Elle s’insère également dans le cadre plus large du Plan d’action pour les Droits de l’Homme et la Démocratie (2020-2024), qui promeut la réforme du système pénitentiaire et l’inclusion des groupes vulnérables dans les pays partenaires, contribuant ainsi à une société plus équitable et résiliente au sein de la République de Maurice. »
Un regard inédit sur les réalités de la réinsertion
Réalisée par la chercheuse Sheistah Bundhoo-Deenoo, cette recherche met en lumière les multiples obstacles auxquels sont confrontés les ex-détenus, en particulier les femmes et les jeunes, dans leur parcours de réinsertion sociale à Maurice. Menée selon une approche qualitative et fondée sur la théorie ancrée, l’étude donne la parole à 59 participants, parmi lesquels des ex-détenus, des membres de leur famille, des professionnels de la réinsertion et des citoyens.
L’étude révèle que les ex-détenus mauriciens, particulièrement les femmes et les jeunes, font face à des obstacles complexes qui s’articulent autour de trois niveaux interconnectés. Au niveau individuel, ils doivent surmonter des défis d’emploi liés à la stigmatisation, des problèmes de confiance en soi et des traumatismes psychologiques profonds, souvent aggravés par des troubles liés à l’usage de substances. Au niveau communautaire, l’accès au logement stable devient problématique, les liens familiaux sont difficiles à restaurer, et la société manifeste une attitude d’exclusion et de stigmatisation persistante. Enfin, au niveau systémique, l’exigence du certificat de caractère constitue un obstacle majeur à l’emploi, tandis que l’absence de services de suivi adéquats laisse les ex-détenus démunis face à une transition abrupte entre l’environnement carcéral structuré and la réalité complexe de la société.
Recommandations pour une meilleure réintégration
Pour surmonter ces barrières, l’étude propose un ensemble de solutions intégrées qui s’attaquent aux défis à tous les niveaux. L’accent est mis sur la création d’opportunités d’emploi à travers des programmes de formation professionnelle adaptés aux besoins du marché local et des partenariats avec des employeurs engagés dans l’emploi « seconde chance », accompagnés d’une réforme du système de certificat de caractère. Le soutien psychologique occupe également une place centrale avec la mise en place de thérapies tenant compte des traumatismes et l’embauche de personnel de santé mentale spécialisé. L’étude recommande aussi le renforcement des services de soutien par des partenariats avec des organismes externes, la création de programmes de suivi structurés et l’établissement de centres de transition. Enfin, une approche « gender-sensitive » est préconisée pour répondre aux besoins spécifiques des femmes ex-détenues, notamment en matière de santé reproductive et de soutien parental, tout en développant des programmes de réhabilitation basés sur des preuves scientifiques.
Sheistah Bundhoo-Deenoo, auteure de l’étude, livre son constat :
« L’un des enseignements les plus marquants de l’étude est les obstacles structurels et sociaux qui continuent de freiner la réinsertion des femmes et des jeunes sortants de prison à Maurice. Si l’on savait déjà que la stigmatisation et les difficultés économiques jouent un rôle central, l’étude met en lumière la manière dont ces obstacles s’entrecroisent — genre, âge et dépendance aux substances — pour créer des difficultés encore plus complexes. »
Elle tire la sonnette d’alarme sur le traitement que subissent les femmes.
« Il est particulièrement frappant de constater à quel point les femmes anciennement incarcérées sont confrontées à une exclusion sociale renforcée, en grande partie à cause des normes de genre encore très présentes. Leurs responsabilités familiales et les traumatismes vécus dans le passé rendent leur parcours de réinsertion encore plus difficile. »
Durant la présentation, les invités ont pu découvrir les témoignages de bénéficiaires des programmes de Kinouété :
Michela Ravate
Michela Ravate, femme entrepreneure, « Une histoire de goût »
« Quand je suis sortie de prison il y a 4 ans, il y a eu le Covid. Il n’y avait pas de travail. Ma pension avait aussi été coupée et j’avais mes enfants à charge. J’ai pris la décision avec des associations de recommencer mon business petit à petit. C’était difficile au début. En prison, j’avais appris la pâtisserie et j’ai alors décidé de poursuivre dans cette voie. L’Association Kinouété m’a aidé à rencontrer d’autres organismes comme SME et la compagnie ENL. J’ai pu suivre un cours de pâtisserie. J’ai reçu des équipements comme un four et une batteuse. Aujourd’hui, je peux dire que je suis à l’aise dans mon business. Et c’est un business qui me permet de voir l’avenir, surtout pour mes enfants. »
Ex-CYC
Ex-CYC, cours d’hôtellerie – Projet d’employabilité Jeunes
« Cela fait 9 mois que je suis sorti du CYC après y avoir passé 2 ans et 6 mois en cellule. La première difficulté à été avec mes parents qui ne voulaient pas que je sorte du centre. Ensuite, il y a eu mes amis qui m’ont rejeté à ma sortie. Quand j’étais au CYC, j’ai été suivi par l’Association Kinouété. L’association a discuté avec mon père et depuis la relation s’est amélioré. Kinouété m’a permis de suivre un cours en hôtellerie, le TEJ. Ils m’ont donné des uniformes, des chaussures. Je suis toujours en train de suivre le cours. Je tiens à remercier Kinouété pour l’aide et le soutien qu’ils m’accordent. »
G.D.
G.D., Agent de sécurité
« La grande difficulté que j’ai rencontré en sortant de prison est au niveau du certificat de caractère. Sans ce certificat on ne trouve pas d’emploi et pour retrouver la confiance des autres, il fallait que je trouve un emploi. Je suis une personne qui ne s’est jamais soucié du regard des autres. J’allais en prison, je sortais, je refaisais du trafic. Quand j’étais en prison, j’ai vu les membres de Kinouété souvent sur place. Je voulais refaire ma vie et je voulais travailler. J’ai expliqué mon problème à Kinouété. Ma famille a reçu un encadrement psychologique. J’ai reçu un soutien alimentaire. Ils m’ont permis d’avoir un travail aussi. J’ai reçu un vrai soutien avec Kinouété. Je voulais dire que nous qui sommes en prison n’avons jamais voulu être comme cela. Il y a des circonstances de vie qui font que nous sommes allés en prison. Voyez-nous comme des victimes de la vie. »
L’Association Kinouété a fait de cette présentation un moment clé de sensibilisation autour des réalités de la réinsertion post-carcérale à Maurice. En rassemblant, le 29 mai dernier, dans l’enceinte-même d’une prison, acteurs institutionnels, membres de la société civile et partenaires engagés, l’association a ouvert un dialogue constructif sur les réformes nécessaires et les solutions concrètes à mettre en oeuvre. L’objectif est clair : faire évoluer les mentalités, renforcer les mécanismes d’accompagnement, et garantir à chaque personne ayant purgé sa peine une réelle chance de reconstruire sa vie, dans la dignité et le respect de ses droits.